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    A livre ouvert
     
    Je m'adossai à un banc de neige, laissant la poudre sèche se tasser sous mon poids. Ma peau était aussi froide que l'air ambiant, et de petits bouts de glaces recouvraient ma peau d'un voile de velours.

    Le ciel au dessus de moi était pur, brillant et étoilé, d'un bleu rougeoyant par endroit, parfois jaune. Les étoiles créaient des formes majestueuses et tourbillonnantes dans l'univers noir – une vision impressionnante. D'une extraordinaire beauté.
    Enfin, ça aurait dû l'être. Ca l'aurait été, si j'avais été capable de vraiment le voir.

    Je ne notai aucune amélioration, je n'allais pas mieux. Six jours avaient passé. Six jours que je me cachais, ici, dans la vide et sauvage région de Dénali, et pourtant j'étais toujours aussi loin de la liberté que le jour où j'avais sentis son odeur pour la première fois.

    Quand je regardais ce ciel comme incrusté de pierres précieuses, c'était comme s'il y avait un obstacle entre mes yeux et cette beauté. Cet obstacle était un visage, juste un simple visage, mais qui s'imposait à mon esprit sans en daigner repartir.

    J'entendis les pensées approcher avant même que je n'entendre les pas qui les accompagnaient. Le bruit que le mouvement produisait n'était guère plus qu'un murmure dans la neige poudreuse.

    Je n'étais pas surpris que Tanya m'ait suivi jusqu'ici. Je savais qu'elle répétait la conversation qui allait venir depuis plusieurs jours déjà, et qu'elle l'avait repoussée encore et encore jusqu'à ce qu'elle soit sûre de savoir ce qu'elle voulait me dire.

    Elle jailli dans mon champs de vision soixante lieues au loin, sautant sur une roche noire.
    La peau de Tanya avait des reflets argentés à la lumière des étoiles. Ses longs cheveux ondulés étaient pâles et brillants, presque rose avec leurs reflets fraise. Ses yeux d'ambre brillaient tandis qu'elle m'espionnait, à moitié cachée par la neige, et ses lèvres s'étirèrent doucement en un large sourire.

    Magnifique. Si j'avais était capable de vraiment la regarder. Je soupirai.
    Elle s'accroupie sur le bord du rocher noir, le bout de ses doigts effleurant la roche, son corps sal.

    Boulet de canon !pensa-t-elle.

    Aussitôt, elle se lança dans les airs, et ses formes devinrent sombres, comme une ombre tournant en vrille gracieusement entre le ciel et moi. Tel un boulet de canon, elle vint frapper l'amas de neige qui s'entassait près de moi.

    Un tourbillon de neige vola autour de moi, cachant les étoiles, et je fus bientôt complètement recouvert de neige. Je soupirai à nouveau, mais ne fis rien pour me dégager. Même avec de la neige devant les yeux, je voyais toujours la même chose : le même visage.

    - Edward ?

    La neige voleta à nouveau lorsque qu'elle entreprit doucement de me déterrer. Elle épousseta la poudreuse de mon visage immobile, sans pour autant rencontrer mon regard.

    - Désolé, murmura-t-elle. C'était une blague.
    - Je sais. C'était drôle

    Son sourire se fana.

    - Irina et Kate disent que je devrais te laisser tranquille. Elles pensent que je t'ennuis.
    - Pas du tout, lui assurais-je. Au contraire, c'est moi qui ai été grossier – incroyablement grossier. Je suis vraiment désolé.

    Tu t'en vas, n'est-ce pas ? ,pensa-t-elle.

    - Je n'ai pas encore...totalement...décidé de ça.

    Mais tu ne restes pas. Sa pensée était mélancolique à présent, triste.

    - Non. Ca n'a pas l'air de beaucoup...m'aider.

    Elle grimaça. C'est à cause de moi, hein ?

    - Bien sur que non, mentis-je sans réfléchir.

    Ne fais pas le gentleman !

    Je souris

    Ma présence t'embarrasse, pensa-t-elle d'un ton accusateur.

    - Non.

    Elle leva un sourcil, en une expression si dubitative que je fus forcé de rire. Une sorte de rire, qu'aucun regard ne suit.

    - D'accord, admis-je. Un peu.

    Elle soupira à son tour et prit son menton dans ses mains. Ses pensées étaient pleines de chagrin.

    - Tu es mille fois plus digne d'amour que toutes ces étoiles, Tanya. Bien sûr, j'imagine que tu le sais déjà. Ne laisse pas mon attitude entamer ton assurance.

    J'eu un petit rire en pensant à cette différence.

    - Je ne suis pas habituée à être rejetée. Grommela-t-elle, avec une moue séductrice de sa lèvre inférieure.
    - Ca je veux bien te croire, agréai-je en essayant de repousser ses pensées qui se dirigeaient à présent vers ses milliers de conquêtes passées.

    Généralement, Tanya préférait les hommes humains – de bien des aspects ils étaient plus attirants que nous, avec l'avantage que représentait leur douceur et leur chaleur. Et eux, étaient certainement toujours consentants.

    - Succube, la charriai-je, espérant réussir ainsi à stopper le flot d'images dans sa tête.
    - Et fière de l'être, grimaça-t-elle en découvrant ses dents blanches.

    Contrairement à Carlisle, Tanya et ses sœurs avaient développé leur conscience progressivement, lentement. Au final, c'était leur penchant pour les hommes humains qui avait poussé les sœurs au bord du massacre. A présent les hommes qu'elles aimaient...s'en sortaient vivant.

    - Quand tu es arrivé ici, dit lentement Tanya, j'ai cru que...

    J'ai toujours su ce qu'elle avait cru. Et, d'ailleurs, j'aurais du deviner qu'elle ressentira ça. Mais à ce moment là, je n'étais pas capable d'analyser quoi que ce soit.

    - Tu as cru que j'avais changé d'avis.
    - Oui. Dit-elle sombrement.
    - Je suis désolé de jouer avec tes sentiments comme ça, Tanya. Je n'avais pas l'intention de...je n'ai pas réfléchi. C'est juste que je suis parti de chez moi avec un...certain sentiment d'urgence.
    - Je suppose que tu ne veux pas me dire pourquoi... ?

    Je m'assis et entourai mes jambes de mes bras. Position défensive.

    - Je ne veux pas en parler.

    Tanya, Irina et Kate excellaient dans le mode de vie qu'elles avaient choisi d'avoir. Si on mettait de côté la proximité malsaine qu'elles se permettaient d'avoir avec ceux qui auraient dû être leurs proies, elles ne commettaient pas d'erreurs. J'avais trop honte pour avouer ma faiblesse à Tanya.

    - Des problèmes avec les femmes ? devina-t-elle, ignorant ma réticence.

    J'éclatai d'un rire morne

    - Pas dans le sens où tu l'entends.

    Alors elle se tut. J'écoutai ses pensées remuer des dizaines de suppositions, pour trouver le sens caché de mes paroles.

    - Tu n'y es vraiment pas, là, lui dis-je.
    - Un indice ?
    - Laisse tomber, Tanya. S'il te plait.

    Elle se tut à nouveau et continua à spéculer. Je l'ignorai et tentai vainement d'admirer les étoiles. Elle finit par abandonner, et ses pensées se dirigèrent ailleurs.
    Où iras-tu Edward, si tu t'en vas ? Chez Carlisle ?

    - Je ne pense pas, soupirai-je.

    Où irai-je ? Dans toute la planète, je ne connaissais pas le moindre lieu qui m'attire un tant soit peu. Il n'y avait rien que je veuille voir ou faire. Je ne voulais aller nulle part. Tout ce que je voulais, c'était fuir.
    Je détestai ça. Quand étais-je devenu aussi lâche ?
    Tanya enroula ses bras minces autour de mes épaules. Je me figeai mais ne la repoussai pas. Ce n'était que du réconfort amical. Sûrement.

    - Je pense que tu vas y retourner. Dit-elle, sa voix reprenant soudain son ancien accent russe. Peu importe la chose...ou la personne...qui te hante. Tu y feras face. Tu es ce genre de personne.

    Ses pensées étaient en parfait accord avec ses paroles. J'essayai de me figurer cette vision qu'elle avait de moi-même. Celui qui fait face. C'était agréable de m'imaginer à nouveau ainsi. Je n'avais jamais douté de mon courage, de ma capacité à faire face aux difficultés, avant que cette horrible heure de biologie ne survienne au lycée, il y a si peu de temps.

    Je l'embrassais sur la joue et me retirai alors qu'elle tournait son visage vers le mien. Elle sourit de ma rapidité.

    - Merci Tanya. J'avais besoin d'entendre ça.

    Ses pensées s'irritèrent.

    - De rien, je suppose. J'espère que tu seras plus raisonnable pour certaines choses.
    - Je suis désolé, Tanya. Tu sais bien que tu es trop bonne pour moi. Je n'ai juste...pas encore trouvé ce que je cherche.
    - Et bien...si tu pars avant que je puisse te revoir...Au revoir, Edward.
    - Au revoir Tanya.

    Tandis que je disais ces mots, je pouvais le voir. Je pouvais me voir partir. Etre assez fort pour oser retourner au seul endroit où je désirais être.

    - Encore merci, ajoutai-je.

    En un mouvement agile, elle se leva. Et là elle partit, glissant dans la neige si vite que ses pieds n'avaient même pas le temps de s'enfoncer dans la poudreuse ; elle ne laissa aucune emprunte derrière elle. Elle ne regarda pas en arrière. Mon rejet l'avait beaucoup plus touché qu'elle ne le laissait paraître, même dans ses pensées. Elle ne voulait plus me revoir avant que je parte.

    Ma bouche se tordit de chagrin. Je n'aimais pas blesser Tanya, même si ses sentiments n'étaient pas profonds, même s'ils n'étaient pas purs, et même si de toute manière ils n'étaient pas réciproques. Mais j'avais l'impression de ne pas du tout me conduire en gentleman.

    Je posai mon menton sur mes genoux et regardai les étoiles à nouveau, soudain anxieux de partir. Je savais qu'Alice verrait mon départ, et qu'elle l'annoncerait à tous les autres. Ca les rendrait sûrement heureux – surtout Carlisle et Esmée. Mais je m'accordai un moment supplémentaire pour contempler les étoiles, pour voir ce visage qui hante mon esprit. Entre moi et les lumières scintillantes du ciel, une fascinante et étrange paire d'yeux couleur chocolat me rendait mon regard, se demandant sûrement ce que mon retour aller signifier pour elle. Bien sûr je ne pouvais pas être réellement certain que c'était cette information là que ces étranges yeux cherchaient. Même dans mon imagination, je ne pouvais entendre ses pensées. Les yeux de Bella Swan continuèrent de poser leurs questions. Avec un lourd soupir, j'abandonnai et me levai. En courant, je serais dans la voiture de Carlisle dans moins d'une heure...

    Dans d'urgence de voir ma famille – et tout en voulant absolument devenir le Edward qui faisait face aux difficultés, je traçais dans la neige scintillante, sans laisser de traces...

    - Ca va aller, murmura Alice.

    Ses yeux étaient dans le vague, et Jasper gardait une main légèrement en dessous de son coude, la guidant alors que nous faisions tous ensemble la queue à la cafétéria. Rosalie et Emmett étaient devant. Emmett donnait la ridicule impression d'un garde du corps infiltré en territoire ennemi. Rose avançait d'un pas circonspect elle aussi, mais plus par irritation que par protection.

    - Bien sûr que ça va aller, grommelai-je

    Leur attitude était risible : si je n'avais pas cru possible que je puisse supporter ce moment, je serais resté chez moi.

    Le brusque décalage entre notre normale et même amusante matinée – Il avait neigé durant la nuit, et Emmett et Jasper s'étaient acharnés à me lancer des boules de neiges avant de se bombarder mutuellement - et cette overdose de vigilance aurait pu être comique si elle n'avait pas été aussi irritante.

    - Elle n'est pas encore arrivée, mais elle sera bientôt là... elle ne sera pas dans le vent si on s'assoit au même endroit que d'habitude...
    - Evidemment qu'on va s'asseoir au même endroit que d'habitude. Arrête Alice. Tu me tapes sur le système. Tout ira parfaitement bien pour moi.

    Elle cligna des yeux une fois tandis que Jasper la faisait s'asseoir sur sa chaise et elle commença à se focaliser sur mon visage.

    - Hum, dit-elle, comme surprise. Je pense que tu as raison.
    - Evidemment, murmurai-je.

    Je détestai être autant surveillé. Je commençai à éprouver de la sympathie pour Jasper, en me souvenant combien nous l'avions surprotégé par moment. Je rencontrai son regard, il grimaça.

    Ennuyeux, n'est-ce pas ?

    Je lui accordai une grimace.
    Etait-ce vraiment il y a seulement une semaine que j'avais trouvé cette pièce terne, d'un ennui mortel, au point que c'était comme dormir ou être dans le coma que d'être là ?

    Aujourd'hui mes nerfs étaient tendus à l'extrême – comme les corde d'un piano, assez tendues pour pouvoir chanter sous la plus légère pression. Tous mes sens étaient en alerte maximale ; je scannais chaque son, chaque soupir, chaque mouvement du vent sur ma peau, chaque pensée. Surtout les pensées. Il n'y avait qu'un seul sens que je verrouillais, que je me refusais d'utiliser. L'odorat, évidemment. Je ne respirais pas.

    Cependant, je m'attendais à entendre plus de choses sur les Cullen dans les pensées que je scannais. Chaque jour j'écoutais, en quête de nouvelles informations que Bella Swan aurait pu confier, j'essayais de savoir sur quoi portaient les nouvelles discussions. Mais il n'y avait rien. Personne n'avait remarqué les cinq vampires qui s'étaient introduit dans la cafétéria, tout était exactement comme le jour où la nouvelle était arrivée. La plupart des humains ici pensaient à cette fille, les mêmes pensées que la semaine précédente. Au lieu de trouver ça passablement ennuyeux, à présent j'étais fasciné.

    Avait-elle parlé de moi ?

    Il était impossible qu'elle n'ait pas remarqué mon regard noir et meurtrier. Je l'avais vu réagir. Je l'avais sûrement bêtement terrifié. Je m'étais convaincu qu'elle l'aurait mentionné à quelqu'un, et même en exagérant un peu, pour rendre l'histoire plus intéressante. Qu'elle m'aurait attribué quelques répliques menaçantes.

    En plus, elle m'avait également vu demander à changer mes horaires de biologie. Après avoir vu de quelle manière je l'avais regardé, elle aurait certainement dût se demander si elle en était la cause. Une fille normale aurait demandé autour d'elle, comparé son expérience avec celle des autres, chercher un terrain d'entente qui pourrait expliquer ma réaction, pour ne pas se sentir exclue. Les humains sont constamment et désespérément désireux d'être dans la norme, d'être intégrés partout où ils sont. Devenir un troupeau de moutons ordinaires. Ce besoin était particulièrement fort durant l'adolescence. Et cette fille ne ferait sûrement pas exception à la règle.

    Mais personne ne semblait avoir remarqué notre présence, assis à cette même table. Bella devait être exceptionnellement timide, si elle ne s'était confiée à personne. Peut-être en avait-elle parlé à son père, peut-être qu'ils étaient proche...ce qui paraissait cependant peu probable, étant donné du peu de temps qu'elle avait passé avec lui durant sa vie. Néanmoins, j'allais certainement devoir passer devant le Chef Swan de temps en temps pour savoir ce qu'il pensait.

    - Du nouveau ? demanda Jasper
    - Non. On dirait...qu'elle n'en a parlé à personne.

    En apprenant cette nouvelle, ils levèrent tous un sourcil.

    - Peut-être que tu n'es pas aussi effrayant que tu le crois. Dit Emmett en rigolant. Je suis prêt à parier que je lui aurais fait bien plus peur que ça.

    Je roulais mes yeux dans sa direction.

    - Je me demande pourquoi... ?

    Il était encore déconcerté du mystérieux silence de la jeune fille.

    - Tu n'es pas le seul à te le demander. Je n'en sais rien.
    - Elle arrive, murmura Alice. Je sentis mon corps se raidir. Essayez d'avoir l'air humain.
    - Tu as bien dis « humain » ? demanda Emmett.

    Il leva son poing droit et bougea les doigts, révélant la boule de neige qu'il avait gardée dans sa paume. Bien sûr, gardée là, elle n'avait pas fondu, d'autant plus qu'il l'avait compressé en un petit tas de glace. Ses yeux étaient sur Jasper, mais je voyais vers où se dirigeaient ses pensées. Tout comme Alice je suppose. Lorsqu'il lança brutalement le glaçon dans sa direction, elle l'évita facilement, d'un instinctif et léger mouvement de la main. La glace ricocha et traversa la cafétéria à toute vitesse – trop vite pour être vue des humains – et s'écrasa avec un craquement contre le mur de briques. Les briques craquèrent également.

    Les têtes de cette partie de la salle remarquèrent le petit tas de glace brisé sur le sol, et commencèrent à chercher le coupable. Mais ils ne regardèrent jamais plus loin que quelques tables à la ronde, et aucun d'eux ne posa à un seul instant le regard sur nous.

    - Super, très humain Emmett, remarqua Rosalie sur un ton de reproche. Pourquoi tu ne donnes pas un coup de poing dans le mur, pendant que tu y es ?
    - Ca serait plus impressionnant si c'était toi que le faisait, bébé.

    J'essayai de leur prêter un peu attention, gardant une grimace accrochée à mon visage, comme si j'étais complice de leur plaisanterie. Je m'interdisais formellement de regarder vers la file d'attente où je savais qu'elle se trouvait. Mais je ne pouvais m'empêcher d'écouter.

    Je pouvais entendre les pensées de Jessica et l'impatience qu'elle manifestait envers la nouvelle élève. Elle semblait distraite, et ne faisait pas attention à la file d'attente qui avançait. Je vis par les yeux de Jessica que les joues de Bella avaient à nouveau cette teinte rosie par un flux de sang.

    Je respirais à présent par petits à-coups rapides, prêt à arrêter de respirer à tout moment si son odeur devait contaminer l'air autour de moi.

    Mike Newton était avec les deux filles. J'entendis ses deux voix, mentale et verbale, quand il demanda à Jessica ce qui n'allait pas avec la fille Swan. Je n'aimais pas sa manière dont toutes ses pensées l'enveloppaient, comment ses fantasmes embrumaient son esprit lorsqu'il la vit sortir de sa rêverie comme si elle avait oublié qu'il était là.

    - Rien, dit Bella de sa voix claire et tranquille.

    Elle sembla raisonner comme une cloche dans le brouhaha de la cafétéria, mais je sais que c'était uniquement parce que je me focalisais sur elle avec autant d'intensité.

    - Je ne prendrais qu'une limonade aujourd'hui, continua-t-elle en bougeant pour rattraper son retard dans la file d'attente.

    Je ne pouvais pas m'empêcher de lancer un regard dans sa direction. Elle fixait le sol, et le sang fuyait progressivement son visage. Je détournai rapidement le regard et rencontrai celui d'Emmett, qui riait devant le sourire tordu que j'abordai à présent.

    T'as une sale tête, frangin.

    Je repris contenance et tentai de transformer ma grimace en une expression naturelle. Jessica était en train de s'interroger sur le manque d'appétit de la jeune fille.

    - Je suis un peu patraque. Sa voix était plus basse, mais toujours aussi claire.


    Pourquoi est-ce que ça me dérangeai à ce point, que tout dans les pensée de Mike Newton traduise un fort besoin de la protéger à cet instant précis ? Qu'est-ce que ça change que ses pensées soient si possessives ? Ca ne me regardait pas, si Mike Newton se sentait si inquiet pour elle ! Peut-être était-ce ainsi que tout le monde réagissait à son sujet. N'avais-je pas moi-même instinctivement voulu la protéger ? Avant même de vouloir la tuer, c'était la première chose qui...

    Mais était-elle vraiment malade ?

    C'était difficile d'en juger – elle avait l'air di délicate avec sa peau translucide...Quand je réalisais que j'étais à mon tour en train de m'inquiéter, à l'instar de ce stupide mec, je me forçais à ne plus penser à sa santé.

    De toute façon, je n'aimais pas l'observer par les yeux de Mike, alors je changeais pour Jessica, qui était en train de chercher une place où s'asseoir. Par chance, ils s'assirent avec les mêmes personnes qu'habituellement, à l'une des premières tables de la grande pièce. Comme l'avait prédit Alice, elle n'était pas dans le vent.

    Alice me donna un coup de coude.
    Elle va regarder par ici. Essaie d'avoir l'air humain.

    Mes dents se serrèrent derrière ma grimace.

    - Détend-toi, Edward. Dit Emmett. Honnêtement. Ok, tu tues un humain. Et Alors ? C'est pas la fin du monde.
    - Si tu savais. Murmurai-je.
    - Tu devrais apprendre à relativiser. Dit-il en riant. Comme je l'ai fais. L'éternité donne toujours le temps de purger notre peine.

    A ce moment précis, Alice sortit une poignée de glace qu'elle cachait dans sa paume et la jeta au visage d'Emmett. Celui-ci cligna des yeux, surprit, puis sourit.

    - Tu l'auras voulu. Dit-il.

    Et là, il se pencha sur la table et ébroua ses cheveux incrustés de glace dans notre direction. La neige, fondant dans la salle surchauffée, vola de ses cheveux et nous éclaboussa.

    - Eh ! Se plaignit Rosalie, alors qu'elle et Alice reculaient face au déluge.

    Alice éclata de rire, et nous lui fîmes tous échos. Je pus clairement voir dans sa tête comment elle avait orchestré ce moment parfait, et que la fille – je devrais arrêter de penser à elle de cette façon, elle n'est pas la seule fille sur terre – et donc que Bella nous regarderait rire et jouer, aussi humain et heureux, une scène d'un idéal aussi irréel qu'un tableau de Norman Rockwell.
    Alice continua de rire et leva son plateau comme un bouclier. La fille...Bella devait être encore en train de nous regarder.

    ...encore en train de fixer les Cullen. Pensa quelqu'un qui attira mon attention.

    Je tournai automatiquement les yeux vers celui ou celle qui m'avait involontairement appelée, réalisant alors que mon regard trouvait sa destination que je connaissais cette voix – je l'avais tellement écoutée aujourd'hui.

    Mais mes yeux glissèrent sur Jessica, et se focalisèrent sur le regard pénétrant de la jeune fille. Elle baissa les yeux rapidement, se cachant encore une fois derrière ses épais cheveux bruns.

    A quoi pensait-elle ? La frustration semblait devenir un peu plus aigue à chaque fois. J'essayai – sans vraiment savoir ce que je faisais, comme je n'avais jamais fais ça auparavant - de sonder avec mon esprit le silence qui l'entourait. Je pouvais utiliser ouïe ultra fine sur naturellement, sans avoir à me concentrer ; je n'avais jamais eu de problème avec ça. Mais à présent je me concentrai, essayant de traverser je ne sais quel bouclier qui l'entourait.

    Rien que du silence.

    Mais qu'est-ce qu'ils ont tous avec elle ? Pensa Jessica, faisant écho à ma propre frustration.

    - Edward Cullen tu mate. Chuchota-t-elle à l'oreille de la fille Swan, ajoutant un gloussement.

    I l n'y avait aucune trace de sa jalousie dans son ton. Jessica devait sans doute être très douée pour jouer les fausses amies.

    J'écoutai, attentivement, la réponse de la jeune fille.

    - Il n'a pas l'ai furieux, hein ? Murmura-t-elle.

    Elle avait donc remarqué la réaction sauvage que j'avais eue la semaine dernière.
    Evidemment.
    Sa question perturba Jessica, et je vis mon propre visage par ses yeux tandis qu'elle essayait d'analyser mon expression, mais je ne rencontrai pas son regard. J'étais toujours aussi concentré sur la fille, essayant d'entendre quelque chose. Et ma focalisation n'arrangeait rien.

    - Non. Lui dit Jess, et je savais qu'elle espérait pouvoir dire oui – à sa manière de fixer mon regard – même si elle n'y laissait rien paraître. Il devrait ?
    - Je crois qu'il ne m'apprécie guère. Répondit la fille dans un murmure.
    Elle posa sa tête sur son bras comme si elle était soudain fatiguée. J'essayai d'interpréter ce geste, mais encore une fois je ne pouvais faire que des suppositions. Peut-être qu'elle était vraiment fatiguée.

    - Les Cullen n'aiment personne. La rassura Jess. Enfin, disons qu'ils ne s'intéressent pas assez aux autres pour les aimer. Ils n'ont jamais été habitués à ça. Ajouta-t-elle dans sa tête, et sa pensée avait des accents plaintifs. En tout cas, il continue à t'admirer.
    - Arrête de le regarder. Dit la jeune fille nerveusement, levant sa tête de son bras pour vérifier que son amie obéissait bien à son ordre.

    Jessica eu un petit gloussement, mais obtempéra.

    La fille ne leva pas les yeux de sa table durant tout le reste de l'heure. Je pense – pense, bien sur, je ne pouvais être sûr de rien – que c'était délibéré. On aurait dit qu'elle voulait me regarder. Comme si son corps se décalait légèrement dans ma direction, comme si son menton était sur le point de pivoter vers moi, mais qu'à ce moment là elle reprenait le contrôle d'elle-même, prenait une profonde inspiration et se remettait à regarder fixement la personne qui était en train de lui parler.

    J'ignorai la plupart des autres pensées qui l'entouraient, comme si elles n'étaient pas là. Mike Newton était en train de projeter une bataille de boule de neige sur le parking à la fin des cours, sans se douter que la poudreuse avaient déjà fondue pour devenir de la boue glaciale. Le flottement des flocons mous contre le toit était devenu le bagout plus commun des gouttes de pluie. N'entendait-il vraiment pas le changement ? Pour moi, c'était vraiment bruyant.

    Quand le temps réservé au repas fut terminé, je restai sur ma chaise. Les humains s'en allaient, et je me surpris à essayer de distinguer le son de ses pas parmi les autres, comme si c'était une information capitale.

    C'était d'un stupide.

    Ma famille ne fit aucun mouvement de sortie, non plus. Ils attendaient de voir ce que j'allais faire. Irai-je en cours, assis à côté de cette fille dont le sang me faisait autant d'effet, et dont je pourrais sentir la chaleur de son cœur dans l'air sur ma peau ? Etais-je assez fort pour endurer ça ? Ou en avais-je déjà eu assez pour la journée ?

    - Je... pense que c'est bon. Dit Alice d'un ton hésitant. Ton esprit va bien. Je pense que ça ira pour une heure.

    Mais Alice savait aussi combien un esprit peut changer d'avis.

    - Pourquoi te forcer, Edward. Dit Jasper, et même s'il ne voulait pas avoir l'air suffisant pour une fois que ce n'était pas lui le faible de l'histoire, je savais qu'il l'était, un peu. Rentre à la maison. Détend-toi.
    - Où est le problème ? Répliqua Emmett. Moi je dis qu'il faut relativiser. Qu'il la tue ou non, qu'est-ce que ça change ?
    - Je ne veux pas encore déménager. Se plaignit Rosalie. Je ne veux pas tout recommencer depuis le début. On est presque à la fin du lycée, Emmett. Enfin.

    J'étais moi aussi déchiré en deux dans cette décision. Une part de moi voulait, désirait plus que tout faire face plutôt que fuir à nouveau. Mais je ne voulais pas non plus me pousser au-delà de mes capacités, et aller trop loin. C'était une erreur pour Jasper de rester si longtemps sans chasser la semaine dernière, et était-ce injustifié ?

    Je ne voulais pas déraciner ma famille. Personne ne me remerciera pour ça. Mais je voulais aussi retourner en cours de biologie. Je réalisai que je voulais revoir son visage.

    C'est ce qui me décida. Cette curiosité. J'étais en colère contre moi-même de ressentir ça. Ne m'étais-je pas promis que je ne laisserais pas le silence de son esprit me faire m'intéresser excessivement à elle ? Et maintenant, me voilà totalement et excessivement fasciné par elle.

    Je voulais savoir ce qu'elle pensait. Si son esprit était fermé, ses yeux, eux, étaient grands ouverts. Peut-être que je pourrais lire ses pensées par leur intermédiaire.

    - Non Rose, je pense vraiment que ça va aller. Dit Alice. C'est...quasi-certain. Il y a quatre vingt treize pourcent de chance qu'il ne se passe rien d'inquiétant s'il va en cours.

    Elle me lança un regard inquisiteur, se demandant ce qui dans mon esprit avait rendu sa vision aussi sûre.

    La curiosité sera-t-elle suffisante pour garder Bella Swan en vie ?

    Emmett avait raison – pourquoi ne pas relativiser ? J'allai faire face, et résisterai à la tentation.

    - Allez en cours. Ordonnai-je en reculant pour sortir de table.

    Je me tournai et m'éloignai d'eux sans regarder en arrière. Je pouvais entendre l'inquiétude d'Alice, la désapprobation de Jasper, la complicité d'Emmett et l'irritation de Rosalie traîner derrière moi.

    Je pris une dernière et profonde inspiration devant la porte et le retint dans mes poumons tandis que j'entrais dans la petite salle chauffée

    Je n'étais pas en retard. Mr Banners était encore en train d'installer le matériel de l'expérience d'aujourd'hui. La fille était assise à ma – à notre table, la tête toujours baissée, les yeux fixé sur le bloc note sur lequel elle gribouillait. En approchant, j'examinai le croquis, étant même intéressé par cette création insignifiante de son esprit, mais ça ne ressemblait à rien. Juste un griffonnage aléatoire de boucles dans d'autres boucles. Peut-être qu'elle était distraite, peut-être qu'elle pensait à autre chose ?

    Je tirai ma chaise en m'efforçant de faire un maximum de bruit, la laissant grincer contre le lino ; les humains préfèrent généralement que l'approche de quelqu'un soit signalée par un bruit.

    Je sus qu'elle avait entendu le grincement de ma chaise ; elle ne tourna pas la tête, mais sa main loupa une des boucles qu'elle était en train de dessiner, interrompant le mouvement continu de son poignet.

    Pourquoi ne levait-elle pas les yeux vers moi ? Peut-être qu'elle avait peur. Je devais absolument m'assurer qu'elle repartirait de cette salle de cours avec une impression différente de moi, la persuader qu'elle s'était imaginée des choses la semaine dernière.

    - Bonjour. Dis-je avec la voix tranquille que j'utilisai habituellement pour mettre les humains à l'aise, en ajoutant ce sourire polit qui étirait mes lèvres sans découvrir mes dents.

    Elle leva alors ses yeux bruns et profonds, et son regard – déjà déconcertant – était plein de questions silencieuses. Cette même expression qui m'obsédait depuis une semaine.

    Au moment où ses yeux brun d'une profondeur fascinante rencontrèrent mon regard, je réalisais la haine – cette haine que je m'étais imaginé que cette fille méritait simplement parce qu'elle existait - s'était évaporée. Maintenant que je ne respirais pas, que je ne goûtais pas son parfum, je ne pouvais plus concevoir qu'une personne aussi vulnérable puisse être haïssable.

    Ses joues commencèrent à rosir, et elle ne dit rien.

    Je gardais mes yeux sur les siens, me concentrant sur ses questions refoulées, et essayant d'ignorer l'appétissante teinte que ses joues avaient prise. J'avais assez d'air pour pouvoir parler un moment sans reprendre mon souffle.

    - Je m'appelle Edward Cullen. Dis-je tout en sachant pertinemment que je ne lui apprenais rien. C'était une manière courtoise de commencer. Je n'ai pas eu la chance de me présenter, la semaine dernière. Tu dois être Bella Swan.

    Elle sembla perdu – il y avait à nouveau une petite ride entre ses yeux. Elle mit une demi seconde de plus qu'elle ne l'aurais fait en temps normal pour me répondre.

    - D'où...d'où tu connais mon nom ? Demanda-t-elle d'une voix un peu tremblante.

    J'avais vraiment dû la terrifier. Je me sentais un peu coupable, tellement elle était sans défense. Je ris gentiment – c'était un son que les humain aimaient entendre. Cette fois encore, je fus prudent de ne pas montrer mes dents.

    - Oh ce n'est un secret pour personne. Elle devait forcément avoir remarqué qu'elle était devenue le centre de toutes les attentions dans cet endroit monotone. Tu étais attendue comme le messie, tu sais.

    Elle se refrogna comme si cette information l'importunait. Je supposai, que si elle était aussi timide qu'il y semblait, être l'objet de tous les regards devait sûrement être une épreuve pour elle. La plupart des humains ressentent l'inverse. Ils ne voulaient pas être exclu du troupeau, mais en même temps ils imploraient qu'on mette en valeur leur individualité.

    - Ce n'est pas ça. Dit-elle. Pourquoi Bella ?
    - Tu préfères Isabella ? Demandai-je, soudain perplexe comme je ne pouvais pas voir ce qui se cachait derrière cette question.

    Je ne comprenais pas. Elle avait pourtant clarifié sa préférence pour ce surnom de nombreuses fois depuis le premier jour. Les humains étaient-il tous aussi incompréhensibles lorsqu'on ne pouvait pas lire dans leurs pensées ?

    - Non, répondit-elle en secouant légèrement sa tête. Son expression – si je la lisais correctement – était déchirée entre la gêne et la confusion. Mais je pense que Charlie...je veux dire mon père...m'appelle Isabella derrière mon dos. Du moins, c'est ainsi que tout le monde ici paraît me connaître.

    Sa peau se colora d'une ombre encore plus rose.

    - Oh. Dis-je maladroitement avant de tourner les yeux pour fuir son visage.

    Je venais juste de réaliser ce que ça question signifiait réellement : j'avais fait un faux pas – commis une erreur. Si je n'avais pas espionné toutes les pensées et les conversations la concernant depuis le premier jour, alors je l'aurais appelé Isabella, comme tout le monde. Cette erreur, elle l'avait remarquée.

    Je fus soudain extrêmement gêné. Elle avait trouvé la faille de mon raisonnement à une vitesse incroyable. Etonnement perspicace, en particulier pour quelqu'un qui était sensé être terrifiée par ma proximité.

    Mais il y avait autre chose. Quelque chose de beaucoup plus problématique que toutes les hypothèses qu'elle pouvait faire à mon sujet.

    J'étais à court d'air. Si je voulais à nouveau lui parler, il allait falloir que je reprenne mon souffle. Ca allait être dur d'éviter de lui parler. Malheureusement pour elle, partager cette paillasse avec moi faisait d'elle ma partenaire, et nous allions devoir travailler ensemble aujourd'hui. Il aurait semblé étrange - et incroyablement discourtois de ma part – de l'ignorer durant l'expérience. Ca ne ferait qu'accroître sa peur et sa suspicion.
    Je mis le plus de distance possible entre ma tête et elle sans pour autant bouger ma chaise. Je me durcis, verrouillant chacun de mes muscles pour qu'ils restent à leur place, puis aspirai une grande bouffée d'air, respirant uniquement par la bouche.

    Ahh !

    C'était vraiment très douloureux. Même sans sentir son odeur, ma langue pouvait goûter son parfum. Soudain ma gorge s'enflamma à nouveau, et le désir exactement aussi fort qu'au premier jour.
    Je serrai les dents et essayai de reprendre contenance.

    - Allez-y. Intima Mr Banner.

    J'avais l'impression de devoir rassembler tout le self-contrôle que j'avais acquis en plus de soixante-dix ans pour réussir à me retourner vers la fille - qui fixait la table – et pour lui sourire.

    - Les dames d'abord ? Proposai-je

    Elle leva la tête et pâlit face à mon expression, ses yeux écarquillés. Y'avait-il quelque chose qui clochait dans mon expression ? Est-ce que je lui faisais encore peur ? Elle ne pipa mot.

    - A moins que tu préfères que je commence. Dis-je calmement.
    - Non. Dit-elle, en rougissant à nouveau. Aucun problème.

    Je fixai soudain le matériel de biologie nécessaire à l'expérience. La boîte de lamelles, le microscope : c'était mieux que de regarder le sang affluer sous sa peau claire. Je pris une autre inspiration, entre mes dents, et grimaçai tandis que la soif me brûlait la gorge.

    - Prophase, dit-elle après un court instant. Elle commença à enlever la lamelle, alors qu'elle y avait accordé qu'un examen sommaire.
    - Ca t'embête si je regarde ?

    Instinctivement – stupidement, comme si j'étais de sa race – je pris sa main pour l'empêcher d'enlever la lamelle. Pendant une seconde, la chaleur de sa peau brûla la mienne. C'était comme une décharge électrique – elle était sûrement bien plus chaude que la moyenne. La brûlure parti de ma main et remonta jusqu'à mon bras. Elle dégagea sa main d'un geste nerveux.

    - Désolé. Marmonnai-je entre mes dents serrées.

    Ayant soudain besoin d'avoir quelque chose sur quoi me focaliser, j'attrapai le microscope et jetai un bref regard dans l'oculaire. Elle avait raison.

    - Prophase. Confirmai-je.

    Je ne savais pas si je pouvais la regarder sans perdre le contrôle. Respirant aussi calmement que possible entre mes dents grinçantes et essayant d'ignorer la soif qui me dévorait, je me concentrai sur une simple chose, qui était d'écrire le bon mot sur la ligne prévue à cet effet du polycopié, puis de mettre une deuxième lamelle à la place de la première pour répéter l'expérience.

    A quoi pensait-elle, là, maintenant ? Qu'avait-elle ressentit, lorsque j'avais effleuré sa main ? Ma peau devait sûrement être glaciale – repoussante. Je ne pu m'empêcher de me demander pourquoi elle semblait si calme.
    Je jetai un regard à la lamelle.

    - Anaphase. Décrétai-je pour moi-même avant d'écrire la réponse sur la seconde ligne.
    - Je peux ? Demanda-t-elle.

    Je levai les yeux vers elle, et fut surpris de la voir attendant patiemment, une main à moitié tendue vers le microscope. Elle n'avait pas l'air effrayée. Est-ce qu'elle pensait sérieusement que je m'étais trompé ?

    Je ne pus m'empêcher de sourire devant le regard plein d'espoir qu'elle avait lorsqu'elle fit glisser le microscope dans sa direction.

    Elle regarda dans l'oculaire avec une ardeur qui eut vite fait de se refroidir. Les coins de sa bouche descendirent en une moue déçue.

    - Troisième lamelle ? Demanda-t-elle, sans lever les yeux du microscope, mais en levant sa main. Je laissai tomber la lamelle suivante dans sa main, faisant attention à ne pas laisser ma peau s'approcher trop dangereusement de la sienne cette fois. Assis près d'elle, j'avais l'impression d'être à côté d'une lampe brûlante. Je me réchauffais, et petit à petit, la température de mon corps augmentait.

    Elle ne regarda pas la lamelle bien longtemps.

    - Interphase. Dit-elle nonchalamment – essayant sans doute un peu trop que ça en air l'air en tout cas – avant de pousser le microscope vers moi. Elle ne toucha pas au polycopié, mais attendait que j'écrive la réponse. Je vérifiai – elle avait encore raison.

    Nous finîmes l'expérience ainsi, parlant chacun son tour, un mot à la fois sans jamais rencontrer le regard de l'autre. Nous étions les seuls à avoir finit – les autres dans la classe rencontraient quelques difficultés. Mike Newton semblait souffrir d'un horrible trouble de la concentration – il essayait de nous espionner, Bella et moi.

    J'aimerais qu'il retourne d'où il vient, pensa Mike, me fusillant du regard. Hum, intéressant. Je n'avais pas réalisé que ce garçon développait une telle haine à mon égard. C'était un sentiment récent, en rapport avec la récente arrivé de la fille semblait-il. Encore plus intéressant, je me rendis compte – et ça m'étonnait au plus au point – que cette haine était réciproque.

    Je dévisageai à nouveau la fille, impressionné par l'effet bouleversant et ravageur que, en dépit de son incroyable et inoffensive banalité, elle produisait sur ma vie.

    Ce n'était pas que je ne comprenais pas la réaction de Mike. Au contraire, elle était plutôt jolie...d'une manière peu commune. Son visage était mieux que beau, il était intéressant. Il n'était pas totalement symétrique – son menton étroit n'était pas tout à fait au milieu de ses pommettes larges ; ses couleurs viraient d'un extrême à l'autre par le contraste clair-obscur qu'offrait ses cheveux et sa peau ; mais par-dessus tout, il y avait ses yeux, débordants de secrets silencieux...

    Des yeux qui soudain se mirent à fixer les miens.
    Je soutins son regard, essayant d'en extraire ne serait-ce qu'un seul de ses secrets.

    - Tu portes des lentilles, non ? Demanda-t-elle tout à trac.

    Quelle étrange question!

    - Non. Répondis-je souriant presque à l'idée d'améliorer ma vue.
    - Ah bon, marmotta-t-elle. Tes yeux sont différents pourtant.

    Je fus à nouveau douché de me rendre compte je n'étais apparemment pas le seul à essayer de dénicher des secrets aujourd'hui.
    Je gesticulai, haussai les épaules et fixai consciencieusement la ronde du professeur.

    Bien sûr, évidemment que mes yeux étaient différents depuis notre dernière rencontre. Pour me préparer à l'épreuve, a la tentation qu'elle représentait, j'avais passé le week-end entier à chasser plus que de raison pour éliminer toute trace de soif. Je m'étais empiffré de sang d'animaux, et pourtant face à l'arôme scandaleusement délicieux qui émanait d'elle, mon désir était intact. Cependant, la dernière fois que j'avais rencontré son regard, mes yeux avaient été rendu noirs par la soif qui me dévorait. Maintenant que mon corps baignait dans le sang, mes yeux avaient pris une teinte or plus chaude. Une lumière ambre venant de ma tentative désespérée de faire mourir ma soif.

    Un autre faux pas. Si j'avais vu ce qui se tramait derrière sa question, j'aurais tout simplement répondu par l'affirmative.

    Ca faisait deux ans que je m'asseyais à côté d'humains dans ce bahut, et pourtant elle était la première qui m'avait assez observé pour remarquer ce changement de couleur. Les autres, quand ils admiraient notre beauté, baissaient soigneusement les yeux lorsque nous leur rendions. Ils nous regardaient de loin, ignorant instinctivement les détails étranges de notre apparence pour se complaire dans leur ignorance. L'ignorance faisait le bonheur de l'esprit humain.

    Mais pourquoi diable fallait-il que ce soit cette fille qui en vît trop ?

    M. Banner s'approcha de notre table. Reconnaissant, j'inhalai le courant d'air frai qu'il apporta avec lui avant que celui-ci ne se mélange à son odeur.

    - Laisse-moi deviner Edward, dit-il en regardant nos réponses, tu as estimé qu'Isabella ne méritai pas de toucher au microscope ?
    - Bella, le corrigeai-je automatiquement. Et détrompez vous, elle en a identifié trois sur cinq.

    M. Banner se tourna vers la jeune fille, sceptique.

    - Tu as déjà travaillé là-dessus ?

    Je la regardai, captivé tandis qu'elle souriait, l'air un peu gêné.

    - Pas avec des racines d'oignons.
    - De la blastula de féra ? Répondit-il d'un ton inquisiteur.
    - Oui

    Cela le surprit. Le TP d'aujourd'hui avait été spécifiquement préparé pour les cours des programmes avancés. Il hocha la tête pensivement.

    - Tu suivais un programme pour élèves avancés, à Phoenix ?
    - Oui.

    Une élève avancée. Elle était donc intelligente, pour un humain. Cela ne me surprit pas le moins du monde.

    - Eh bien, dit-il en pinçant les lèvres, il n'est sans doute pas mauvais que vous deux soyez partenaires de labo. Il se retourna et s'éloigna en marmonnant dans sa barbe : Comme ça les autres élèves auront une chance d'apprendre quelque chose par eux-mêmes.

    Je doute que la fille ait entendu ça. Elle avait recommencé à griffonner des boucles sur son bloc note.

    Deux faux pas en une demi-heure. Bien joué Edward. Même si je n'avais pas la moindre idée de ce qu'elle pensait de moi – jusqu'où allait sa peur, ou ses soupçons ? – je savais que j'allais devoir faire mieux que ça pour lui faire bonne impression. Quelque chose qui noierait le souvenir de mon hostilité.

    - Dommage, pour la neige, hein ? Lançai-je, répétant la phrase que j'avais entendue des dizaines de fois dans les discussions des élèves aujourd'hui.

    Un ennuyeux, banal sujet de conversation. La météo.

    Elle me toisa avec un regard plein de doutes – une réaction anormale à mes paroles banales.

    - Pas vraiment. Répondit-elle, me surprenant à nouveau.

    J'essayai de garder la conversation sur ce thème banal. Elle venait d'un endroit plus ensoleillé, plus chaud – c'est ce que ça peau semblait montrer, en dépit de sa pâleur – et elle doit être frileuse. Le contact de ma peau glaciale avait certainement dû...

    - Tu n'aime pas le froid. Supposai-je.
    - Ni l'humidité. Renchérit-elle
    - Tu dois difficilement supporter Forks alors.

    Peut-être que tu n'aurais jamais dû venir ici, voulais-je ajouter. Peut-être que tu devrais retourner d'où tu viens.
    Cependant, je n'étais pas sûr que ce fût là ce que je voulais. Je savais que je ne pourrais jamais oublier l'arôme de son sang – y avait-il la moindre garantie que je ne me mette pas à la traquer ? En plus de cela, si elle partait, son esprit restait à jamais pour moi un mystère. Un éternel puzzle incomplet.

    - Tu n'imagines même pas à quel point. Dit-elle d'une voix basse, en jetant des regards noirs autours d'elle.

    Ses réponses n'étaient jamais celle auxquelles je m'attendais. Elles me donnaient envie de poser encore plus de questions.

    - Pourquoi es-tu venue t'installer ici alors ? Demandai-je, réalisant l'instant d'après que mon ton était trop accusateur, trop direct pour une conversation banale. La question semblait grossière, indiscrète.

    - C'est...compliqué

    Elle cligna de ses yeux profonds, laissant la conversation dans cet état, et j'étais sur le point d'exploser de curiosité – curiosité qui brûlait ma gorge comme l'aurait fait ma soif. En fait, je me rendis compte que ça devenait légèrement plus facile de respirer ; avec le temps, l'agonie était supportable.

    - Je devrais réussir à comprendre. Insistai-je. Peut-être que la simple politesse allait la pousser à répondre à mes questions aussi tant que je saurais me montrer assez grossier pour les poser.

    Elle fixa silencieusement mes mains. Ca me rendait impatient ; je voulais mettre ma main sous son menton et délicatement lui faire lever la tête pour que je puisse lire dans ses yeux. Mais ça aurait été idiot de ma part – et dangereux – de la toucher à nouveau.
    Elle leva soudain les yeux. C'était soulageant de pouvoir à nouveau voir ses émotions se refléter dans ses yeux. Elle parla précipitamment, ses mots lancés rapidement.

    - Ma mère s'est remariée.

    Ah, cela était assez humain, facile à comprendre. La tristesse passa dans ses yeux limpides et laissa derrière elle une petite ride entre eux.

    - Ca ne me semble pas si compliqué. Remarquai-je.

    Ma voix s'était faite gentille et agréable sans que j'eusse besoin de l'y forcer. Sa tristesse me rendit soudain désemparé, et je me surpris à souhaiter pouvoir faire quelque chose pour la réconforter. Quelle étrange impulsion.

    - Quand est-ce arrivé ? Ajoutai-je
    - En septembre. Souffla-t-elle – ce n'était pas tout à fait un soupir. Je retins ma respiration pour que son souffle chaud ne m'atteigne pas.
    - Et tu ne l'apprécies pas. Conjecturai-je, essayant de pêcher plus d'informations.
    - Si, Phil est chouette. Dit-elle pour corriger ma mauvaise supposition. L'ombre d'un sourire se dessina aux coins de ses lèvres pleines. Trop jeune peut-être, mais sympa.

    Voilà qui ne s'accordait pas avec le scénario que j'avais construit dans ma tête.

    - Pourquoi n'es-tu pas restée avec eux, s'il est aussi agréable ? Demandai-je, la curiosité beaucoup trop évidente dans ma voix.

    On pourrait croire que je devenais curieux. Ce qui était le cas, je devais l'admettre.

    - Phil voyage beaucoup. Il est joueur de base-ball professionnel.

    Son demi-sourire devint encore plus prononcé ; ce choix de carrière semblait l'amuser. Je souris aussi, sans le vouloir particulièrement. Je n'essayais pas consciemment le la détendre. Son sourire me donnait tout simplement envie de sourire en retour - avec complicité, comme si j'étais dans le secret.

    - Célèbre ? Demandai-je en faisant défiler dans ma tête les visages de tous les joueurs professionnels que je connaissais, me demandant quel « Phil » était le sien...
    - Non. Il n'est pas très bon. Nouveau sourire. Juste des championnats de seconds ordres. Il se déplace pas mal.

    Les visages des célébrités se décalèrent instantanément, et je dressai le tableau des possibilités en moins d'une seconde. En même temps, j'imaginai un nouveau scénario.

    - Et ta mère t'a expédiée ici afin de pouvoir l'accompagner librement. Supposai-je.

    Faire des hypothèses semblait réussir à lui tirer plus d'informations que les questions le faisaient. Ca marcha à nouveau. Elle secoua son menton, et elle afficha soudain une expression bornée.

    - Non, elle n'y est pour rien. Dit-elle. Mon hypothèse l'avait agacée, je ne sais comment. Sa voix se fit plus dure lorsqu'elle ajouta : C'est moi qui l'ai voulu.

    Je ne pouvais ni lire ses pensées, ni deviner la raison de son agacement. Alors j'abandonnai. Cette fille n'avait pas de sens. Elle n'était pas comme les autres humains. Peut-être que le silence de son esprit et le parfum délicat et enivrant de son odeur n'étaient pas les seules choses d'inhabituelles chez elle.

    - Je ne saisis pas. Avouai-je, détestant m'avouer vaincu.

    Elle soupira, et me regarda dans les yeux durant beaucoup plus longtemps que la plupart des humains normaux étaient capable de tenir.

    - Au début elle est restée avec moi, mais il lui manquait. Expliqua-t-elle lentement, son ton devenant de plus en plus désespéré à chaque mot. Elle était malheureuse...bref, j'ai décidé qu'il était temps que je connaisse un peu mieux Charlie.

    La petite ride entre ses yeux se creusa.

    - Et maintenant, c'est toi qui es malheureuse. Murmurai-je.

    Je ne pouvais pas m'empêcher de dire tout haut ce que je pensais deviner, espérant ainsi en apprendre plus sur elle dans le cas où je me tromperais. Cette fois, cependant, j'avais l'impression d'être proche de la vérité.

    - La belle affaire ! Dit-elle, comme si cet aspect là n'entrait pas en considération pour elle.

    Je continuai de la regarder dans les yeux, ayant soudain l'impression de faire ma première véritable entrée dans son âme. Cette simple phrase montrait qu'elle ne se classait pas elle-même dans ses propres priorités. Contrairement à la plupart des humains, ses besoins personnels étaient loin d'occuper la tête de liste.

    Elle était généreuse.

    Alors que je voyais ça, le mystère de la personne cachée derrière cet esprit silencieux commença à se dévoiler un petit peu.

    - Ca n'est pas très juste. Dis-je. Je haussai les épaules, essayant de paraître désinvolte, tentant de dissimuler l'intensité de ma curiosité.
    - On ne te la donc jamais dit ? Rit-elle d'un rire sans joie. La vie est injuste.

    Je voulais rire à ses paroles, cependant ma joie, comme la sienne, s'était fanée. Le fait est que j'en savais un petit quelque chose sur l'injustice de la vie.

    - J'ai en effet l'impression d'avoir déjà entendu ça quelque part.

    Elle reporta son regard sur moi, semblant à nouveau perdue. Ses yeux fuyaient les miens, avant de revenir les fixer la seconde suivante.

    - Inutile de se lamenter, par conséquent. Conclut-elle

    Cependant, je ne voulais pas laisser la conversation se finir ainsi. Ce petit V entre ses yeux, trace que laissait la douleur sur son visage, me perturbait. Je voulais le lisser du bout de mes doigts. Mais, bien sûr, je ne pouvais la toucher. Ce n'était pas sûr...de bien des manières.

    - Tu donnes bien le change. Je parlai lentement, réfléchissant encore à cette nouvelle hypothèse. Mais je parie que tu souffres plus que tu ne le laisses voir.

    Elle fit une grimace, ses yeux se rétrécissant et sa bouche se tordant en une moue peu avenante, et reporta son regard sur le tableau. Elle n'appréciait pas que je fasse tomber son masque. Elle n'était pas le martyr moyen – elle ne voulait pas d'un public pour sa souffrance.

    - Je me trompe ?

    Elle tressaillit, mais fit semblant de ne pas m'entendre. Ca me fit sourire.

    - J'en étais sûr.
    - Et en quoi ça te concerne, hein ? Demanda-t-elle, regardant toujours ailleurs.
    - Bonne question. Admis-je, plus pour moi-même que pour elle.

    Son discernement était meilleur que le mien – elle allait directement au fond des choses alors que je tournais autour du pot en quête d'indices. La vérité était que les détails de sa vie d'humaine ne devraient pas me concerner. C'était mal de me soucier autant ce que qu'elle pensait. Si ce n'était pour protéger ma famille des soupçons, je ne devrais pas m'intéresser aux pensées humaines.

    Je n'étais pas habitué à être le moins perspicace dans un dialogue. J'étais trop dépendant de ma capacité à lire dans les pensées – je n'étais vraiment pas aussi perspicace que ce que j'imaginais.

    La jeune fille soupira et lança un regard noir au tableau. Quelque chose dans son air frustré était comique. L'ensemble de la situation, de la conversation était comique. Personne n'a jamais été autant en danger que cette fille – à n'importe quel moment je pouvais, distrait par cette conversation qui me captivait tant, inhaler par le nez et l'attaquer avant de pouvoir m'en empêcher – et elle était irritée parce que je ne répondais pas à ses questions.

    - Je t'agace ? Demandai-je, souriant devant une telle absurdité.

    Elle me jeta un bref coup d'œil, et là ses yeux semblèrent happés par mon regard.

    - Pas vraiment. Me dit-elle. Je m'agace moi-même. Je suis tellement transparente. Ma mère m'appelle son livre ouvert.

    Elle fronça les sourcils, contrariée.
    Je l'observai, en proie à la stupéfaction la plus totale. La raison de son irritation était qu'elle trouvait que je lisais en elle trop facilement. Comme c'était bizarre. Je n'avais jamais déployé autant d'effort pour comprendre quelqu'un de toute ma vie – ou plutôt de toute mon existence, le mot vie ne convenait pas. Je n'avais plus vraiment de vie.

    - Je ne suis pas d'accord. Objectai-je, me sentant étrangement...tendu, comme si il y avait quelque danger caché là où je m'aventurais. J'étais soudain sur mes gardes, cette intuition me rendait anxieux. Je te trouve au contraire difficile à déchiffrer.
    - C'est que tu es bon lecteur. Devina-t-elle, formulant à son tour une hypothèse qui se révéla, cette fois encore, dans l'exacte vérité.
    - En général, oui. Confirmai-je.

    Je souris alors devant sa profondeur, laissant mes lèvres dévoiler une rangée de dents étincelante, aussi tranchantes que des lames de rasoir.

    C'était stupide d'agir ainsi, mais j'avais brutalement, désespérément besoin d'avertir la jeune fille du danger qu'elle courrait. Son corps était plus proche de moi qu'avant, s'étant décalé inconsciemment dans ma direction durant la conversation. Tous les petits signaux que je lui envoyais auraient suffis à terrifier le reste de l'humanité, mais visiblement ça ne marchait pas sur elle. Pourquoi ne s'éloignait-elle pas de moi, terrifiée ? Elle avait certainement dû en voir assez de mon côté sombre pour réaliser le danger qu'elle courait, intuitive comme elle semblait l'être.

    Je ne pus voir si mon avertissement avait eu l'effet escompté. M. Banner demanda l'attention de toute la classe à ce moment précis, et elle se détourna de moi. Elle semblait un peu soulagée de cette intervention, alors peut-être qu'elle avait comprit inconsciemment.

    J'espérais que ce fût le cas.

    Je reconnu qu'une certaine forme de fascination commençait à grandir en moi, même si j'essayai de m'en débarrasser. Je ne pouvais pas me permettre de trouver Bella Swan intéressante. Ou du moins, elle, ne pouvait pas se le permettre. Pourtant, j'étais anxieux, je voulais avoir à nouveau l'occasion de lui parler. Je voulais en savoir plus au sujet de sa mère, au sujet de la vie qu'elle avait menée avant de venir ici, de sa relation avec son père. Tous ces petits détails insignifiants qui me permettraient de pouvoir approfondir ma connaissance de son caractère. Mais chaque seconde que je passais en sa compagnie était une erreur, un risque qu'elle ne devrait pas prendre.

    Distraitement, elle passa sa main dans ses cheveux juste au moment où je me permettais de respirer à nouveau. Une vague d'air particulièrement chargé de son arôme enivrant frappa le fond de ma gorge de plein fouet.

    Ce fut comme au premier jour. La douleur de la sécheresse de ma gorge me donnait le vertige. Je dus m'accrocher à la table pour rester sur mon siège. Cette fois ci j'avais un tout petit peu plus de self-control. Je ne cassais rien, au moins. Le monstre grogna à l'intérieur de moi, mais ne prit aucun plaisir à ma souffrance. Il était impuissant. Pour l'instant.

    Non, je ne pouvais pas me permettre de la trouver fascinante. Plus je la trouverais intéressante, plus se serait agréable pour moi si je la tuais. J'avais déjà fait deux erreurs mineures aujourd'hui. En ferais-je une troisième, une qui ne soit pas mineure ?

    Dès que j'entendis la cloche sonner, je m'enfuis de la salle de classe – détruisant certainement au passage le peu de bonne impression que j'avais tenté de lui donner, durant l'heure. Cette fois encore, j'inhalai l'air frais et humide de dehors comme si c'était une essence curative. Je me dépêchai de mettre autant de distance que possible entre moi et la fille.

    Emmett m'attendait devant la porte de notre cours d'Espagnol. Il lu mon expression sauvage pendant un moment.
    Comment ça c'est passé ? Demanda-t-il d'un ton circonspect.
    - Personne n'est mort. Marmonnai-je.
    Je suppose que c'est un exploit. Quand j'ai vu Alice, j'ai cru...

    Tandis que nous entrions dans la salle de classe, je vis ses souvenirs datant que quelques minutes à peine, vu par la porte ouvert de sa dernière salle : Alice, le visage livide, marchant d'un pas vif vers le bâtiment de science. Je ressentis le besoin urgent de se lever et de se joindre à elle, puis sa décision de rester. Que si Alice avait eu besoin d'aide, elle l'aurait demandé...
    Je fermai mes yeux d'horreur et de dégoût tandis que je m'effondrais sur ma chaise.

    - Je n'avais pas réalisé que c'était si juste. Murmurai-je Je ne croyais pas que j'étais sur le point de...Je n'avais pas remarqué à quel point c'était dangereux.
    Ca ne l'était pas, me rassura-t-il. Personne n'est mort, n'est-ce pas ?
    - C'est vrai. Dis-je entre mes dents. Pas cette fois.
    Peut-être que ça va s'arranger.
    - Bien sûr.
    Ou peut-être que tu va la tuer. Il haussa les épaules. Tu ne serais pas le premier à qui ça arrive. Personne ne te jugerait trop sévèrement. Parfois il arrive qu'une personne sente juste trop bon. Je suis impressionné que tu ais réussis à tenir aussi longtemps.
    - Tu ne m'aides pas, là, Emmett.

    J'étais révolté par son acceptation de l'idée que j'allais tuer cette fille, comme si c'était quelque chose d'inévitable. Est-ce que c'était de sa faute si elle sentait aussi bon ?

    Je me souviens quand ça m'est arrivé...Se rappela-t-il, m'emmenant un demi-siècle en arrière, dans un chemin de campagne au crépuscule, où une femme entre deux âges prenait des draps séchés d'une ligne ficelée entre deux pommiers. L'odeur des pommes lourdement accrochées était dans l'air – les plus lourdes s'étaient détachée et étaient dispersée sur le sol, les contusions de pourriture dans leur peau laissant s'échapper des panaches de leur arôme acre. L'odeur des champs fraîchement fauchés était un arrière plan de cet arôme, une harmonie. Il marchait sur le chemin, dans le but de faire une commission pour Rosalie, ne prêtant aucune attention à la femme. Le ciel était violet au dessus des têtes, et orange au niveau des arbres de la campagne. Il aurait continué sa route toute tracée et n'aurait eu aucune raison de se souvenir de ce soir là, mais soudain une brise nocturne emporta un drap blanc comme un voile et éventa l'odeur de la femme en direction du visage d'Emmett.

    - Ah ! Gémis-je calmement.

    Comme si le souvenir de ma propre soif n'était pas suffisant.

    Je sais. Je n'ai pas tenu plus d'une demi seconde. Je n'ai même pas songé à l'éventualité de résister.

    Ses souvenirs devinrent bien trop explicites pour que je puisse les supporter.
    Je sautai sur mes pieds, mes dents étaient si serrées qu'elles auraient pu couper de l'acier.
    - Esta bien, Edward ? Demanda Mme Goff, la prof d'espagnol, surprise par mon geste soudain. Je pouvais voir mon visage dans ses yeux, et je sus que j'avais l'air d'aller assez mal.
    - Me pardonna. Marmonnai-je tandis que je me précipitai vers la porte.
    - Emmett...por favor, puedas tu ayuda a tu hermano ? Demanda-t-elle, gesticulant impuissamment comme je me ruais hors de la salle.
    - Bien sûr. L'entendis-je dire, et la seconde d'après il était juste derrière moi.

    Il me suivit jusqu'au bout du bâtiment, où il m'attrapa et posa une main sur mon épaule. Je dégageai sa main avec une puissance non nécessaire. Ca aurait brisé les os d'une main humaine, et les os du bras qui s'y attachait.
    - Désolé, Edward.
    - Je sais. Je pris une profonde inspiration, essayant de purifier ma tête et mes poumons.
    - C'est si dur que ça ? Demanda-t-il, essayant sans grand succès de ne pas penser à l'odeur et au goût de son souvenir alors qu'il posait la question.
    - Pire, Emmett, pire
    Il fut silencieux un moment
    Peut-être que...
    - Non, ça ne sera pas mieux si je relativise. Retourne en cours. J'ai besoin d'être seul.

    Il se retourna sans un mot ou une pensée et s'éloigna rapidement. Il allait dire au prof d'Espagnol que j'étais malade, ou enterré, ou que je suis un vampire dangereusement hors de contrôle. Quelle importance pouvait bien avoir son excuse de toute façon ? Peut-être que je ne reviendrai même pas. Peut-être qu'il fallait que je m'en aille.

    Je me dirigeai à nouveau vers ma voiture pour attendre la fin des cours. Pour me cacher. Encore.

    Il fallait que j'utilise ce temps pour prendre une décision ou d'essayer de tenir ma résolution, mais, comme un drogué, je fini par me surprendre en train de chercher des babillages de pensée émaner des bâtiments scolaires. Je relevai des voix familières, mais je n'étais pas intéressé par les visions d'Alice ou les plaintes de Rosalie en ce moment. Je trouvai rapidement Jessica, mais la fille n'était pas avec elle, alors je continuai de chercher. Les pensées de Mike Newton attirèrent mon attention, et je la localisai enfin, en cours de gym avec lui. Il était malheureux parce que je lui avais parlé en cour de biologie. Il était en train d'analyser les réponses qu'elle lui avait données quand il avait abordé le sujet...

    Je ne l'ai jamais vu dire à qui ce que soit plus d'un mot ici ou là. Evidemment qu'il finirait par trouver Bella intéressante. Je n'aime pas du tout sa manière de la regarder. Mais elle n'avait pas l'air trop excitée à son sujet. Qu'avait-elle dit déjà ? « Je ne sais pas ce qu'il lui a prit la semaine dernière » Un truc comme ça. Elle n'avait pas l'air de s'en soucier plus que ça. Ca n'avait pas dû être plus qu'une banale conversation...

    Il continua son monologue pour se sortir de son pessimisme, rassuré par l'idée que Bella ait pu ne pas être intéressée par son échange avec moi. Cela m'ennuyait beaucoup plus que ça aurait dû, alors j'arrêtai de l'écouter.

    Je mis un CD de musique violente dans la stéréo, et montai le volume jusqu'à ce qu'il noie les autres voix. Je du me concentrer très fort sur la musique pour m'empêcher de me remettre à écouter les pensées de Mike Newton, d'espionner cette fille confiante et innocente...

    Je trichai quelques fois, alors que la fin de l'heure se profilait. Je n'espionnais pas, essayais-je de me convaincre. Je me préparais, c'est tout. Je voulais savoir exactement quand elle quitterait le gymnase, quand elle serait sur le parking. Je ne voulais pas qu'elle me prenne par surprise.

    Alors que les étudiants filaient hors du gymnase, je sortis de ma voiture, sans être totalement certain de savoir pourquoi. La pluie était légère – je l'ignorai tandis qu'elle éclaboussait mes cheveux.

    Est-ce que je voulais qu'elle me vît ici ? Est-ce que j'espérais qu'elle viendrait pour me parler ? Qu'est-ce que j'étais en train de faire ?

    Je ne bougeai pas, alors que j'essayais de me convaincre de remonter dans la voiture, parfaitement conscient que mon attitude était répréhensible. Je gardais mes bras autour de mon torse et respirai par petits à-coups en la regardant marcher lentement vers moi, les coins de sa bouche baissés. Elle ne me regarda pas. Quelques fois elle lança un regard noir aux nuages, les gratifiant d'une grimace, comme s'ils l'offensaient personnellement.

    Je fus déçu lorsqu'elle chercha sa voiture avant de passer devant moi. Allait-elle me parler. Allai-je lui parler ?

    Elle s'approcha d'une camionnette Chevrolet d'une couleur rouge délavée, un béhémoth rouillé encore plus vieux que son père. Je la regardais démarrer la camionnette – le vieil engin fit encore plus de bruit que tous les autres véhicules réunis – et puis tourner le bouton du chauffage. Le froid la gênait – elle n'aimait pas ça. Elle peignit ses cheveux épais avec ses doigts, les tirant vers le torrent d'air chaud comme si elle essayait de les sécher. J'imaginais l'odeur qui devait régner dans l'habitacle, puis chassai très vite cette pensée.

    Elle balaya du regard les environs alors qu'elle se préparait à sortir, et regarda enfin dans ma direction. Elle soutint mon regard une demi seconde, et tout ce que je pus lire dans ses yeux ne fut que la surprise, avant qu'elle ne regarde ailleurs et lance son engin dans le mauvais sens. Il y eu un couinement du frein et la camionnette s'arrêta, le pare-choc arrière à quelques centimètre du véhicule d'Erin Teague.

    Elle regarda dans son rétroviseur, sa bouche entrouverte par le chagrin. Quand l'autre voiture lui passa devant pour sortir, elle cligna des yeux deux fois de suite, puis sortit du parking avec tant de précautions que ça m'arracha un large sourire. C'était comme si elle pensait être dangereuse dans cette camionnette décrépite.

    La simple pensée que Bella Swan puisse représenter un danger pour qui que ce soit, peu importe ce qu'elle conduisait, me fit rire tandis que la fille passa devant moi, regardant droit devant elle.
     

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